Objectifs
Notre principal objectif est d’exposer de façon aussi claire que possible la méthode des composantes symétriques (ou transformation de Fortescue) afin de dissiper la confusion qui l’entoure généralement. Cette théorie mérite en effet d’être bien comprise, parce qu’elle constitue une manière originale, élégante et synthétique (1) de représenter les réseaux électriques triphasés en régime permanent, et parce qu’il en découle un certain nombre d’applications pratiques. La plus connue de ces applications est sans aucune doute le traitement des défauts : la théorie des composantes symétriques est en effet à la fois un outil de calcul analytique des courants de défauts, et une source d’inspiration pour la conception des critères de détection qui sont utilisés dans les relais de protection d’un réseau électrique. D’autres applications seront également évoquées, notamment l’utilisation de la théorie des composantes symétriques pour la résolution numérique, par ordinateur, des problèmes de réseaux triphasés déséquilibrés généraux — par opposition aux problèmes très spécifiques de calcul de courants de court-circuits évoqués précédemment, qui font généralement l’objet d’approximations drastiques (2). Dans chaque cas d’application considéré, nous proposerons une analyse critique des avantages et inconvénients du recours à la théorie des composantes symétriques afin d’en faire apparaître l’intérêt et les limitations.
Pré-requis
Notre objectif étant de présenter la théorie des composantes symétriques de façon aussi complète et aussi rigoureuse que possible, ce document examine de nombreux détails qui sont généralement passés sous silence dans les ouvrages introductifs consacrés à notre sujet. Le lecteur devra donc s’armer de patience pour en venir à bout.
De plus, notre objectif de rigueur nous conduira à présenter la théorie des composantes symétriques sous un angle résolument mathématique : une certaine aisance avec les calculs d’algèbre linéaire est donc requise de la part du lecteur.
Enfin, il est certainement préférable, avant d’entamer la lecture de cet ouvrage, de maîtriser les notions d’électrotechnique élémentaires en régime monophasé ou triphasé équilibré. Nous ferons également appel à la modélisation des circuits magnétiques, ce qui requiert la connaissance des notions de flux magnétique, de force magnéto-motrice, de réluctance, etc.
Avertissement
Ce document est encore jeune et n’a pas fait l’objet de nombreuses relectures.
Il est donc probable que des erreurs, et certainement de nombreuses imperfections, y subsistent. Il touche par ailleurs ici et là à des sujets que nous maîtrisons mal ; le cas échéant, ce fait est signalé dans le texte. Le lecteur est donc invité à nous aider à remédier à ces lacunes en soumettant ses propositions d’amélioration
Généralités, conventions et définition
Sauf indication contraire, tous les composants considérés dans ce document seront des composants linéaires.
Ces composants seront étudiés exclusivement en régime statique (ou « permanent »), en utilisant le formalisme des phaseurs qui permet de représenter par des nombres complexes les grandeurs sinusoïdales de fréquence donnée. Il ne sera donc pas question dans cet ouvrage d’analyse dynamique, harmonique ou autre.
On utilisera les notions de composants assemblés entre eux via des ports pour former un réseau. A chaque port est associé un couple de variables, l’une de potentiel et l’autre de courant. La variable de courant est orientée par convention vers l’intérieur du composant.
Pour la modélisation des composants qui comportent un circuit magnétique, nous introduirons aussi parfois des variables de potentiel et de flux dans le circuit magnétique lui-même.
Lorsqu’un réseau comporte des transformateurs, ceux-ci introduisent une isolation galvanique (autrement dit, ils empêchent le passage direct d’un courant électrique) entre le primaire et le secondaire. Un réseau peut ainsi être décomposé en différentes composantes connexes galvaniquement isolées (3), que l’on appellera des composantes galvaniques.
Trois ports peuvent être associés pour former un triplet triphasé de ports. On leur associe alors généralement les étiquettes «A, B et C». A un triplet triphasé de ports peut, ou non, être associé un port de neutre, auquel on attache généralement l’étiquette «N» le cas échéant.
Les ports sont connectés entre eux pour former des nœuds. Par extension, les triplets triphasés de ports peuvent également être connectés entre eux pour former des triplets triphasés de nœuds. Chaque nœud impose l’égalité des potentiels des ports qui y sont attachés, et la nullité de la somme de leurs variables de courant ou «loi des nœuds».
A cette règle fait exception un type de nœud spécial, dont il n’existe qu’un seul exemplaire par composante galvanique du réseau : il s’agit du nœud choisi comme origine des potentiels (4). En ce nœud, on n’introduit pas de variable de potentiel (il est en effet nul par hypothèse), et on supprime la loi des nœuds.
Lorsque la terre est modélisée, on distingue la notion de terre locale et de terre profonde. La terre profonde est supposée parfaitement conductrice. Pour y accéder, on doit néanmoins traverser une certaine impédance de mise à la terre, qui relie la terre locale à la terre profonde.
La puissance complexe transmise sur un conducteur est définie comme le produit du potentiel complexe et du courant complexe conjugué ; et la puissance transmise par un ensemble de conducteurs est définie comme la somme des puissances transmises sur chaque conducteur. La puissance transmise sur un conducteur dépend donc de l’origine choisie pour les potentiels, et revêt par conséquent un caractère arbitraire. La puissance transmise par un ensemble de conducteurs en dépend a priori aussi, sauf dans le cas usuel où la somme des courants sur l’ensemble des conducteurs considérés est nul ; on montre alors facilement que le choix de l’origine des potentiels n’a plus d’importance.
Sommaire
Partie 1 : Coordonnées usuelles et coordonnées symétriques
Partie 2 : Modélisation d’un composant triphasé équilibré passif général
Partie 3 : Modélisation symétrique des composants triphasés usuels
3.1.1 Charge étoile équilibrée
3.1.2 Charge triangle équilibrée
3.1.3 Cas d’une charge couplée équilibrée : le transformateur étoile-triangle avec secondaire à vide
3.2.1 Ligne équilibrée simple à trois conducteurs
3.2.2 Ligne équilibrée simple à quatre conducteurs
3.2.3 Ligne équilibrée à trois conducteurs avec couplages capacitifs entre conducteurs
3.2.4 Ligne équilibrée à quatre conducteurs avec couplages capacitifs entre conducteurs
3.2.5 Agrégation de lignes successives.
3.3 Transformateurs triphasés formés de trois transformateurs monophasés identiques
3.3.1 Transformateur étoile-étoile
3.3.2 Transformateur triangle-étoile
(travail en cours !)
Notes
(1) L’aspect synthétique de la théorie des composantes symétriques ne s’exprime en fait que pour les composants équilibrés, auxquels elle donne une représentation compacte en exploitant leur symétrie par permutation circulaire des phases. Pour les composants non-équilibrés, ce bénéfice est inexistant ; le passage en composantes symétriques a même plutôt tendance, au contraire, à complexifier leur représentation.
(2) Les calculs de courant de court-circuit sont notamment réalisés, de façon générale, en négligeant les charges, ce qui n’est évidemment pas applicable à l’étude des situations où le réseau est sain.
(3) L’utilisation de transformateurs n’implique néanmoins pas automatiquement l’apparition de plusieurs composantes galvaniques ; en effet, le primaire et le secondaire d’un transformateur peuvent être couplé par ailleurs, typiquement pas l’intermédiaire de couplages capacitifs entre les lignes (en amont et en aval du transformateur) et la terre. Dans ce cas de figure, l’amont et l’aval du transformateur forment bien une seule composante galvanique. Les réseaux à plusieurs composantes galvaniques sont donc typiquement ceux dans lesquels les couplages à la terre sont négligés.
(4) Ce point est généralement appelé «la masse» en électrotechnique, ce qui suggère qu’il représente les masses métalliques (carcasse des machines…). En anglais, la notion la plus proche semble être celle de «ground» : autrement dit, la nuance qui existe dans la langue française entre la «masse» et la «terre» ne semble pas avoir d’équivalent en anglais. Quoi qu’il en soit, nous ne faisons ici référence ni à la masse des machines, ni à la terre : notre «origine des potentiels» est un point absolument quelconque du circuit. Il faut considérer cette notion comme un simple artifice mathématique visant à éliminer l’indétermination des potentiels. Son choix n’a aucun rapport avec la physique du problème, ni aucune influence (physiquement significative) sur les résultats que nous obtiendrons lorsque nous réaliserons des calculs avec nos modèles. Pour éviter toute confusion, nous ne représenterons pas ce point sur nos schémas électriques en utilisant le symbole habituellement associé à la terre ou à la masse : nous le représenterons pas les lettres «O.P.».