Contexte
Qu’il s’agisse d’exploiter le réseau au quotidien ou de planifier ses évolutions, les Gestionnaires de Réseau de Distribution ont besoin de savoir estimer la puissance qui transite dans leurs transformateurs MT/BT. Ces estimations permettent notamment de détecter les transformateurs potentiellement surchargés, afin d’envisager leur remplacement ou de les soulager en procédant à une restructuration locale du réseau. Inversement, un transformateur identifié comme durablement sous-chargé peut être réaffecté à un autre poste de distribution publique, afin d’augmenter son taux d’utilisation et ainsi améliorer l’efficacité de l’investissement. Connaître le taux de charge des transformateur permet aussi de vérifier que le raccordement d’un nouvel usager, ou l’augmentation de la puissance souscrite d’un client existant, ne conduira pas à une situation de surcharge.
Dans ce contexte, le déploiement des compteurs communicants constitue un évènement-charnière : les nouvelles données qui sont produites par ces compteurs constituent en effet une matière première idéale pour améliorer les méthodes d’estimation de la charge dans le réseau de distribution, en particulier celle des transformateurs de distribution publique. Les données de comptage revêtent cependant un caractère sensible et leur utilisation est donc réglementée, ce qui contraint la manière dont ces données peuvent être utilisées par les Gestionnaires de Réseaux.
Problématique
Différentes solutions existent pour mesurer directement la puissance maximale qui transite dans les transformateurs MT/BT, allant de l’utilisation de maximètres relevés et réinitialisés manuellement, jusqu’à l’installation d’une RTU (Remote Terminal Unit) intégrée au SCADA et permettant de télérelever en permanence l’état du transformateur. Cependant, ces solutions induisent des coûts, et elles ne sont donc pas systématiquement utilisées par les Gestionnaires de Réseaux. De plus, la mesure directe ne donne que l’estimation de la charge maximale passée, alors que l’on s’intéresse généralement plutôt à la charge maximale qui est susceptible de se produire à l’avenir avec un certain niveau de risque. Il est donc pertinent de chercher à évaluer la charge dans les transformateurs MT/BT par le biais d’un modèle statistique, en complément ou à la place d’une mesure directe.
Une approche statistique usuelle pour estimer la puissance de pointe d’un agrégat d’usagers du réseau de distribution est de faire la somme de leurs puissances souscrites, puis de la multiplier par un certain « coefficient de foisonnement » dont la valeur est d’autant plus faible que le nombre d’usagers est élevé. La norme NF C14-100, notamment, fournit la table de coefficients suivante.
Nombre d'utilisateurs situés en aval de la section considérée | Coefficient |
---|---|
2 à 4 | 1 |
5 à 9 | 0.78 |
10 à 14 | 0.63 |
15 à 19 | 0.53 |
20 à 24 | 0.49 |
25 à 29 | 0.46 |
30 à 34 | 0.44 |
35 à 39 | 0.42 |
40 à 49 | 0.41 |
50 et au-dessus | 0.38 |
C’est la méthode qu’utilisait jusqu’à présent GreenAlp, le Gestionnaire de Réseau de Distribution de la ville de Grenoble et de 23 autres communes iséroises. Les limitations de cette méthode ont cependant conduit GreenAlp a solliciter Roseau Technologies pour travailler à la mise au point d’une méthode plus précise.
Réalisations
Deux modèles de prédiction par apprentissage supervisé ont été proposés à GreenAlp. La première méthode consistait à conserver la méthodologie actuelle et à mettre uniquement à jour la valeur numérique de ses paramètres, c’est-à-dire à ajuster la table des coefficients de foisonnement pour qu’elle reflète mieux le comportement des usagers alimentés par GreenAlp. La deuxième solution consistait à utiliser une formule de prédiction nouvelle, et plus précise, en s’appuyant sur un descripteur supplémentaire : l’énergie totale consommée par un client sur les 30 jours où sa consommation est maximale. Cet indicateur peut être calculé en pratique grâce aux index de consommation journaliers, que les Gestionnaires de Réseaux sont autorisés à collecter librement .
Un ensemble de courbes de charges au pas 10 minutes (pour les clients >36 kVA) ou 30 minutes (pour les clients <=36 kVA), relevées grâce à l’infrastructure de comptage communicant, étaient disponibles pour l’étude. Pour les clients <=36 kVA, ces courbes de charges ne peuvent légalement être collectées par le Gestionnaire de Réseau que dans un cadre dérogatoire, et n’étaient donc disponibles que pour environ 10% des clients et sur une durée d’environ une année. Cette contrainte imposait de n’utiliser ces données que pour la phase d’apprentissage, à l’exclusion de la phase de prédiction.
Roseau Technologies a ainsi réalisé le travail suivant :
- recenser, collecter et consolider les différentes données d’entrée disponibles (courbes de charge, mais aussi données cartographiques, données SCADA…)
- définir et évaluer différentes méthodes de prédiction, et proposer à GreenAlp une sélection de deux méthodes retenues pour leur simplicité et leurs performances de prédiction ;
- calculer les nouvelles valeurs des coefficients de foisonnement, ajustés sur l’extrait de courbes de charges, en remplacement des coefficients standards précédemment utilisés par GreenAlp ;
- calculer de même, par apprentissage, les paramètres numériques de la méthode de prédiction améliorée ;
- évaluer les performances de prédiction de chacune des deux méthodes ;
- et finalement fournir une estimation améliorée du taux de charge de l’ensemble des transformateurs de distribution publique de la ville de Grenoble.
Impact
Le projet a immédiatement permis à GreenAlp de détecter quelques transformateurs MT/BT potentiellement surchargés. Ces transformateurs ont été équipés d’appareils de mesure mobiles afin de confirmer le diagnostic et, le cas échéant, d’envisager une action corrective comme la mutation du transformateur. Le projet a également permis d’identifier quelques transformateurs peu chargés et de les réaffecter à des zones de forte charge. Enfin, il a conduit GreenAlp à mettre à jour la méthode de calcul utilisée dans ses logiciels de dimensionnement de réseau.
Publications
Ce travail a fait l’objet d’une publication scientifique, présentée à la conférence CIRED 2025.