On peut constituer un modèle du réseau complet que en rassemblant simplement, d’une part les équations associées à chacun des composants, et d’autre part les équations de couplage associées à chacun des ports. Cependant, que l’on applique cette technique à la formulation en coordonnées usuelles ou à celle en coordonnées symétriques, ou à toute hybridation de ces deux formulations, le système d’équations obtenu sera singulier en raison de l’indétermination de l’origine des potentiels et du caractère redondant des équations de loi des nœuds.
La solution classique à ce problème est de définir un et un seul nœud spécial par composante galvanique du réseau, au niveau duquel on fixe le potentiel à zéro et on supprime l’équation de la loi des nœuds. Ce nœud spécial est appelé « l’origine des potentiels ».
Dans l’analyse d’un circuit électrique quelconque, le choix de ce nœud est assez arbitraire.
Dans le cas d’un réseau électrique dont certains composants sont couplés à la terre (transformateurs via la mise à la terre de leur point neutre, lignes via leurs couplages capacitifs avec la terre…), l’usage est de modéliser la terre comme un nœud particulier et de le prendre comme origine des potentiels.
Dans le cas d’un réseau électrique dont aucun composant n’est couplé à la terre, mais dont certains composants comportent des points neutre, un réflexe naturel est de prendre comme origine des potentiels l’un de ces points neutres. Dans le cas notamment où le réseau comporte une source de tension unique, ou en tout cas principale, il est assez naturel de supposer que cette source est en étoile et de placer l’origine des potentiels en son point neutre.
Si le réseau ne comporte que des composants triphasés sans neutre, c’est-à-dire s’il ne comporte que des couplages en triangles, alors il n’y a plus vraiment de manière naturelle de choisir l’origine des potentiels. Ce cas ne doit pas être très fréquent car il faut bien que notre réseau ait au moins une source, et si cette source est une source de tension, alors on peut aussi bien supposer qu’elle est en étoile plutôt qu’en triangle~: cela ne change rien à la physique, et permet de revenir au cas précédent. Si malgré tout le réseau ne comporte pas de point neutre, alors on peut placer l’origine des potentiels n’importe où, par exemple sur la phase A d’un nœud quelconque. On peut aussi séparer la notion de « nœud spécial auquel on supprime la loi des nœuds » de celle « d’équation supplémentaire visant à supprimer l’indétermination des potentiels », et ajouter au niveau d’un certain triplet triphasé de ports une équation comme $V_A + V_B + V_C = 0$, ce qui convient tout aussi bien pour lever l’indétermination que fixer à zéro le potentiel d’un nœud particulier.
Remarque :
Toutes ces considérations n’ont aucune importance physique~: elles ne changent pas les résultats mesurables, comme les courants et les différences de potentiels. Elles ne changent que la valeurs des potentiels eux-mêmes. Tant que l’utilisateur ne cherche pas à accéder aux potentiels calculés par le modèle, mais seulement à des grandeurs mesurables, le choix de l’origine des potentiels est absolument transparent. Seul un utilisateur cherchant à interpréter les potentiels eux-mêmes pourrait avoir envie de choisir telle ou telle origine des potentiels ; par exemple, l’option qui consiste à placer l’origine des potentiels sur la phase A conduirait à des valeurs de potentiels surprenantes, quoique justes, pour un utilisateur non-averti.
Quelle que soit la forme particulière choisie pour supprimer l’indétermination, nous devons répondre à la question suivante0: comment cette opération se traduit-elle après le changement de variables0?
Dans le cas d’un réseau électrique dont certains composants sont couplés à la terre et où celle-ci est modélisée de façon classique par un nœud particulier que l’on prend comme origine des potentiels, il n’y a rien à signaler : ce nœud ne faisant pas partie d’un triplet triphasé de ports, ses équations de nœuds ne seront pas affectées par le passage en composantes symétriques. L’opération à effectuer, à savoir supprimer la loi des nœuds et introduire l’équation supplémentaire de fixation à zéro du potentiel, sera exactement la même dans les deux modèles.
Inversement, supposons que l’on ait choisi le point neutre d’un composant comme origine des potentiels0 ; dans ce cas, la loi des nœuds en coordonnées usuelles s’écrit $I_A + I_B + I_C + I_N = 0$ pour un neutre sorti, et $I_A + I_B + I_C = 0$ pour un neutre non-sorti. Cette équation sera traduite en composantes symétriques par $3 \, I_0 + I_N = 0 $ soit $I_0 + \tilde{I}_N = 0 $ pour un neutre sorti, et simplement $I_0 = 0$ pour un neutre non-sorti. C’est cette équation qui devra être supprimée du modèle symétrique du composant. L’équation $V_N = 0$, elle s’applique dans les deux formulations, celle en coordonnées usuelles et celle en coordonnées symétriques~: en effet, $V_N$ étant une variable isolée, elle n’est pas affectée par le changement de variables.
Si enfin on décidait de faire preuve de créativité et de placer l’origine des potentiels ailleurs que sur un point neutre, par exemple sur un nœud où se rejoignent des conducteurs de la phase A, alors il faudra réfléchir un peu plus. En effet, l’équation de loi des nœuds au nœud considéré n’existe plus dans la formulation en composantes symétriques : cette équation aura été recombinée avec les deux autres équations du bloc triphasé d’équations auquel elle appartient, au cours du changement de base portant sur les équations. Nous laissons au lecteur qui se mettrait dans une telle situation le soin de s’en sortir tout seul à titre d’exercice.
Remarque :
Un réseau dont tous les composants sont équilibrés se découple en trois sous-réseaux distincts. Dans ce cas, on peut donc s’étonner que fixer une seule origine des potentiels suffise ; les deux autres réseaux indépendants ne vont-ils pas se retrouver sans composant spécial ? Non : l’origine des potentiels arrivera nécessairement dans le circuit homopolaire, qui en a effectivement besoin. Dans les circuits direct et inverse, en revanche, n’apparaissent que des tensions (tension directe, tension inverse) au sens de la Remarque 11 : celle-ci ne dépendent pas du choix de l’origine des potentiels. Dans un circuit entièrement équilibré et donc entièrement découplé, le choix de l’origine des potentiels n’affectera donc que les potentiels qui apparaissent dans la composante homopolaire du circuit découplé.