Avant de revenir à l’étude des composants triphasés et de leurs symétries, nous allons consacrer ce chapitre à l’étude de plusieurs variantes de modèle de transformateur monophasé ; ceci nous permettra d’introduire différentes notions dont nous aurons besoin dans la suite de cet ouvrage lorsque nous étudierons les modèles symétriques de transformateurs triphasés. Il ne sera donc pas question dans ce chapitre de la théorie des composantes symétriques elle-même, mais nous préparerons le terrain pour son introduction dans les chapitres ultérieurs.
2.1 Transformateur idéal à rapport de transformation complexe
On considère un convertisseur monophasé dont on note \(V\) et \(I\) la tension et le courant au primaire, tandis que \(V’\) et \(I’\) représentent la tension et le courant au secondaire. On suppose que le convertisseur est modélisé par les équations
\begin{cases}
V = \mu \, V’ \\
I’ + \nu \, I = 0,
\end{cases} \quad
\mu, \nu \in \mathbb{C};
\end{equation}
qui sont similaires à celles d’un transformateur monophasé classique, à ceci près que les coefficients de transformation \(\mu\) et \(\nu\) sont complexes.
La puissance complexe qui entre dans le secondaire de notre composant est
\[V’ \, (I’)^* = \left(\frac{1}{\mu} \, V\right) \, (-\nu \, I)^* = – \left(\frac{\nu^*}{\mu}\right) V \, I^*.\]
Ainsi, notre composant conserve la puissance complexe si et seulement si les deux rapports de transformation, celui des tensions (\(\mu\)) et celui des courants (\(\nu\)), sont mutuellement conjugués, autrement dit si et seulement si \(\mu = \nu^*\).
Lorsque cette propriété est vérifiée, on qualifie ce composant de « transformateur complexe idéal ». Il caractérisé par les équations
\begin{cases}
V = \mu \, V’ \\
I’ + \mu^* \, I = 0,
\end{cases} \quad
\mu \in \mathbb{C}.
\end{equation}
Le paramètre \(\mu \in \mathbb{C}\) est appelé le rapport de transformation (complexe) du transformateur complexe idéal.
\[\arg(V’) – \arg(V) = -\arg(\mu).\]
Lorsque ce déphasage est un multiple de 30°, comme ce sera le cas pour tous les transformateurs complexes qui apparaîtront dans la suite de ce document, on l’exprime généralement sous forme d’indice horaire : par exemple, si \(\arg(\mu) = \frac{\pi}{6}\) (soit 30°), on dit que l’indice horaire est égal à 1h.
2.2 Passage d’impédance d’un côté à l’autre d’un transformateur idéal
2.2.1 Passage d’une impédance série
Considérons un transformateur idéal de rapport complexe \(\mu\) avec une impédance série \(Z\) au primaire. On peut modéliser ce circuit par les équations
\begin{cases}
V – Z I = \mu v \\
I + \frac{i}{\mu^*} = 0
\end{cases}
\end{equation}
soit
\begin{cases}
\frac{1}{\mu} V = v – \frac{Z}{|\mu|^2} i \\
I + \frac{i}{\mu^*} = 0,
\end{cases}
\end{equation}
que l’on identifie au modèle d’un circuit composé du même transformateur idéal avec, cette fois, une impédance de valeur
\[ z := \frac{Z}{|\mu|^2} \]
placée en série du côté du secondaire. La situation est représentée ci-dessous :

2.2.2 Passage d’une admittance transverse
Considérons un transformateur idéal de rapport complexe \(\mu\) avec une admittance transverse au primaire. On peut modéliser ce circuit par les équations
\begin{cases}
V = \mu v \\
i + \mu^* (I – Y V) = 0
\end{cases}
\end{equation}
soit
\begin{cases}
V = \mu v \\
I + \frac{1}{\mu^*} (i – |\mu|^2 Y v) = 0
\end{cases}
\end{equation}
que l’on identifie au modèle d’un circuit composé du même transformateur idéal avec, cette fois, une admittance transverse de valeur
\[ y := |\mu|^2 Y \]
placée du côté du secondaire. La situation est représentée ci-dessous.

2.3 Circuit auxiliaire utile à l’étude des transformateurs non-idéaux
2.3.1 Mise en équations

Considérons le circuit de la figure ci-dessus, composé d’un transformateur idéal à rapport de transformation complexe \(\mu\), de deux admittances en série et d’une admittance transverse. Cette dernière a été placée arbitrairement du côté primaire ; comme nous l’avons vu dans la partie 2.2, elle pourrait aussi bien être placée du côté secondaire.
L’admittance transverse \(Y\) est traversée par le courant \(I + \frac{i}{\mu^*}\), et on peut donc modéliser notre circuit par les équations
\label{eq:circuit-auxiliaire-transfo-complexe}
\begin{cases}
V = (Z + \frac{1}{Y}) I + \frac{i}{\mu^* Y}\\
v = (z + \frac{1}{|\mu|^2 Y}) i + \frac{I}{\mu Y}.
\end{cases}
\end{equation}
Nous verrons fréquemment apparaître dans la suite de ce document des systèmes d’équations qui présentent cette structure, ce qui nous conduira à les identifier au circuit représenté ici.
Dans le cas où le transformateur est à rapport de transformation réel, ces équations précédentes deviennent
\label{eq:circuit-auxiliaire-transfo-reel}
\begin{cases}
V = (Z + \frac{1}{Y}) I + \frac{i}{\alpha Y}\\
v = (z + \frac{1}{\alpha^2 Y}) i + \frac{I}{\alpha Y}
\end{cases}
\end{equation}
où l’on a noté \(\alpha := \frac{N}{n}\) le rapport de transformation du transformateur.
2.3.2 Interprétation de la tension aux bornes de l’admittance transverse
Dans le cas où le rapport de transformation est réel, on observe que la tension aux bornes de l’admittance \(Y\) est égale à
\label{eq:UY-circuit-auxiliaire}
U_Y := \frac{1}{Y} (I + \frac{n}{N} \, i) = \frac{1}{NY} (NI + ni).
\end{equation}
Au facteur \(\frac{1}{NY}\) près, ceci montre que la tension \(U_Y\) nous donne la force magnétomotrice totale \(NI+ni\) qui s’exerce sur le circuit magnétique du transformateur. Connaissant la réluctance du circuit magnétique, ceci permet ensuite de calculer le flux dans le circuit magnétique ; d’où, connaissant la section du circuit magnétique, on pourra tirer l’intensité du champ magnétique. Enfin, la connaissance de l’intensité du champ magnétique nous permettra d’évaluer les pertes fer. Ce raisonnement reviendra plusieurs fois, sous différentes formes, dans la suite de cet ouvrage.
2.4 Modélisation du transformateur non-idéal à deux enroulements
Revenons à notre transformateur monophasé non-idéal à deux enroulements, représenté ci-dessous.

2.4.1 Intégration des pertes fer
On considère généralement que les pertes fer volumiques, dans un matériau magnétique donné soumis à un champ magnétique sinusoïdal à fréquence donnée, sont approximativement proportionnelles au carré du module \(B\) du phaseur de champ magnétique. Autrement dit, on considère qu’elles sont de la forme \(\alpha |B|^2\), où \(\alpha\) (en \(A^2 \cdot s \cdot kg^{-1} \cdot m^{-1}\)) est un paramètre dont la valeur est déterminée par la nature du matériau magnétique et par la fréquence à laquelle il est utilisé. Au vu de (\ref{eq:UY-transfo-mono}), l’intensité du champ magnétique \(B\) dans notre modèle de transformateur monophasé est donnée par
2.4.2 Modèle à une seule impédance série
Dans certaines situations, on peut considérer que le courant transverse est faible devant le courant série, autrement dit que les courants série au primaire et au secondaire sont égaux au facteur \(\mu\) près :
\label{eq:approx-transfo-mono}
i \approx – \mu^* I.
\end{equation}
Cette approximation est d’autant meilleure que le transformateur est « de bonne qualité » (forte inductance magnétisante, faibles pertes fer) et qu’il est chargé (forts courants série).
Cette approximation permet de passer l’impédance \(Z\) à droite de l’admittance \(Y\) dans le circuit de la figure initiale}, puis de la passer à droite du transformateur idéal (partie 2.2), et enfin de l’agréger avec l’impédance \(z\). La situation est représentée sur la figure ci-dessous :

Remarque : L’approximation (\ref{eq:approx-transfo-mono}) est très répandue, et le modèle de la figure ci-dessus qu’elle permet d’obtenir est « le » modèle usuel par excellence de transformateur monophasé non-idéal. Cette approximation est pourtant assez contestable : le courant magnétisant qui traverse l’admittance transverse n’est généralement pas si faible que ça, tandis que le courant série peut très bien être faible, si le transformateur est peu chargé.Considérons notamment le cas le plus extrême dans lequel l’approximation (\ref{eq:approx-transfo-mono}) ne s’applique manifestement pas : celui où l’on alimente le transformateur par le côté secondaire et où le primaire est laissé à vide : dans ce cas, le fait de ramener au primaire l’impédance série du secondaire revient à faire complètement disparaître celle-ci du modèle. Inversement, si l’on alimente le primaire et que le secondaire est laissé à vide, les non-idéalités du bobinage secondaire (résistance \(r\) et inductance de fuite \(l^f\)) interviennent dans le calcul, alors que le bobinage en question n’est traversé par aucun courant… Ces situations illustrent les limites du modèle à une seule impédance série, et invitent à lui préférer le modèle à deux impédances série, d’autant plus que celui-ci n’est guère plus compliqué.
Inversement, dans le cadre d’une étude de court-circuit, le courant série sera généralement très élevé : non seulement l’approximation (\ref{eq:approx-transfo-mono}) est alors beaucoup plus justifiée, mais on va même souvent jusqu’à négliger complètement l’admittance transverse.

2.5 Modélisation du transformateur à trois enroulements
En suivant le même type de raisonnement que pour le transformateur monophasé à deux enroulements, on propose pour le transformateur monophasé à trois enroulement le modèle à une seule impédance série (par enroulement secondaire) qui est représenté sur la Figure ci-dessous.
